Dans le parc … - Albert Samain
Dans le parc aux lointains voilés de brume, sous
Les grands arbres d’où tombe avec un bruit très doux
L’adieu des feuilles d’or parmi la solitude,
Sous le ciel pâlissant comme de lassitude,
Nous irons, si tu veux, jusqu’au soir, à pas lents,
Bercer l’été qui meurt dans nos coeurs indolents.
Nous marcherons parmi les muettes allées ;
Et cet amer parfum qu’ont les herbes foulées,
Et ce silence, et ce grand charme langoureux
Que verse en nous l’automne exquis et douloureux
Et qui sort des jardins, des bois, des eaux, des arbres
Et des parterres nus où grelottent les marbres,
Baignera doucement notre âme tout un jour,
Comme un mouchoir ancien qui sent encor l’amour.
Publié en 1901 dans le recueil Le chariot d’or
Albert Samain (1858-1900), figure marquante du symbolisme français, marqua la fin du XIXème siècle par une poésie amoureuse empreinte de mélancolie et de sensualité raffinée. Né à Lille dans un milieu modeste, il perdit son père à quatorze ans et dut travailler comme employé de commerce avant de rejoindre Paris où il fréquenta les cercles littéraires avant-gardistes comme le Chat Noir. Son œuvre, influencée par Baudelaire et Verlaine, explore les nuances des sentiments amoureux à travers des paysages évocateurs, comme en témoigne Dans le parc… publié dans Le Chariot d’or (1901). Ce poème posthume déploie une atmosphère automnale où « les feuilles d’or » et « les muettes allées » deviennent les métaphores d’un amour à la fois éphémère et éternel, mêlant la douceur des souvenirs à la douleur de l’adieu. Miné par la tuberculose, Samain cultiva une sensibilité exacerbée qui transparaît dans ses vers musicalement construits – certains adaptés par Fauré ou Cras – où l’intime se confond avec l’universel. Son art de la suggestion, entre décadentisme et pureté classique, fait de lui un passeur d’émotions intemporelles, capable de cristalliser dans un « mouchoir ancien qui sent encor l’amour » toute la nostalgie des cœurs blessés.
