Adieu, Rennes - Saint Louis Grignion de Montfort

ADIEU, Rennes, 

On déplore ton destin,

On t’annonce mille peines,

Tu périras à la fin,

Si tu ne romps pas les chaînes

Que tu caches dans ton sein.

 

Adieu, Rennes, Rennes, Rennes.

Il est vrai que tu domines,

Mais en voici les raisons,

Sans en craindre les épines :

Ce-n’est pas par tes maisons,

Ce n’est pas par tes hermines,

C’est par tes cruels poisons.

 

Adieu, Rennes, etc.

Selon tous les fols, tu brilles

Et tu passes bien ton temps.

Tout rit, tout joue en la ville

Et fort agréablement,

Mais, sages de l’Évangile,

Pleurez-en amèrement.

 

Adieu, Rennes, etc.

Tout est en réjouissance :

Monsieur est au cabaret,

Mademoiselle, à la danse,

Et Madame au lansquenet;

Un chacun fait sa bombance,

Et sans croire avoir mal fait.

 

Adieu, Rennes, etc.

Tout y fait son personnage,

Par le bien ou le plaisir.

Le vieillard en son ménage

Ne pense qu’à s’enrichir,

Et le jeune homme, à son âge,

Ne veut que se divertir.

 

Adieu, Rennes,

On n’y voit pour l’ordinaire

Que duplicité de cœur;

Un chacun a son mystère;

Jusqu’au dévot serviteur,

Qui paraît le plus sincère,

Est souvent le plus trompeur.

 

Adieu, Rennes, etc.

Que de femmes malheureuses

Sous un air tout de gaieté!

Que de filles scandaleuses

Sous un air de sainteté!

Que de têtes orgueilleuses

Sous un habit emprunté!

Adieu, Rennes, etc.

 

Que d’injustices criantes

Qu’on couvre de pitié!

Que de paroles piquantes

Sous ombre de charité!

Que de rigueurs rebutantes

Qu’on traite de fermeté!

Adieu, Rennes, [etc.]

 

Voyez combien d’amazones,

Sous leurs habits d’arlequins,

Tout découpés, verts ou jaunes,

Marchant sur leurs brodequins,

Y font jour et nuit leurs prônes

Pour séduire des mondains!

Adieu, Rennes, etc.

 

On y passe la journée

Sur la rue ou dans les jeux.

L’église est abandonnée,

Son séjour est ennuyeux,

Une heure y semble une année.

Ah! pleurez, pleurez, mes yeux l!

Adieu, Rennes, [etc.]

 

Les torrents de tous les crimes,

Qui s’inondent de tout temps,

Entraînent dans les abîmes

Presque tous les habitants,

Pour les rendre victimes

De tous les débordements.

Adieu, Rennes, etc.

 

De ta malice infinie

Le plus juste est infecté,

Ou bien il faut qu’il s’enfuie

En quelque communauté,

Qui n’ait point été ternie

De ton air tout empesté.

Adieu, Rennes, etc.

 

Si quelqu’un plein de courage

Veut te braver sur-le-champ,

Tes partisans, pleins de rage,

L’attaquent cruellement

Et mettent tout en usage

Pour te tromper finement.

Adieu, Rennes, etc.

 

Le pauvre crie à ta porte,

Le riche entre avec honneur,

Ou par ennui tu lui portes

Les restes d’un serviteur;

Tu maltraites de la sorte

Les chers membres du Sauveur.

Adieu, Rennes, etc.

 

Que voit-on en tes églises ?

Souvent des badins, des chiens,

Des causeuses des mieux mises,

Des libertins, des païens,

Qui tiennent là leurs assises

Parmi très peu de chrétiens.

Adieu, Rennes, etc.

 

Dans ton étrange misère

Tu dors avec tes amis :

On n’y craint rien, tout espère,

Tous les péchés sont remis.

Ah! qui donnera lumière

A ces pauvres endormis ?

Adieu, Rennes, [etc.]

 

Tu réponds à qui t’aborde

Pour démontrer ton erreur :

« Dieu fera miséricorde,

II est bon, n’ayons point peur.

Quand on la veut, il l’accorde « ,

Et puis : « Tout homme est pécheur. « 

Adieu, Rennes, [etc.]

 

Vers 1714

Portrait de Saint Louis Grignion de MontfortSaint Louis Grignion de Montfort, célèbre prédicateur et mystique du XVIIe siècle, est un auteur profondément ancré dans la tradition chrétienne et bretonne. Né en 1673 à Iffendic, près de Rennes, il se distingue par sa dévotion envers la Vierge Marie et son engagement à réformer la société de son époque. Dans son poème Adieu, Rennes, il adresse un adieu poignant à sa ville natale, déplorant la décadence morale et spirituelle qui l’envahit. À travers des vers puissants et critiques, il dénonce l’hypocrisie et l’immoralité, tout en exprimant son désespoir face à l’indifférence religieuse. Son écriture, teintée de passion et de ferveur chrétienne, invite à la réflexion sur la condition humaine et la nécessité de la conversion spirituelle. Ce poème témoigne de son esprit de réformateur et de son amour pour la Bretagne.

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