Blotti comme un oiseau - Albert Samain

Blotti comme un oiseau frileux au fond du nid,

Les yeux sur ton profil, je songe à l’infini…

 

Immobile sur les coussins brodés, j’évoque

L’enchantement ancien, la radieuse époque,

Et les rêves au ciel de tes yeux verts baignés !

 

Et je revis, parmi les objets imprégnés

De ton parfum intime et cher, l’ancienne année

Celle qui flotte encor dans ta robe fanée…

 

Je t’aime ingénument. Je t’aime pour te voir.

Ta voix me sonne au coeur comme un chant dans le soir.

Et penché sur ton cou, doux comme les calices,

J’épuise goutte à goutte, en amères délices,

Pendant que mon soleil décroît à l’horizon

Le charme douloureux de l’arrière-saison.

 

Publié en 1900 dans le recueil Le chariot d’or

Portrait d'Albert SamainNé à Lille en 1858, Albert Samain incarne la sensibilité poétique fin-de-siècle, marquée par une existence précocement assombrie. Orphelin de père à quatorze ans, il interrompt ses études pour subvenir aux besoins de sa famille, avant de s’établir à Paris où il mène une vie modeste de fonctionnaire tout en fréquentant les cercles symbolistes. Son œuvre, empreinte de mélancolie et de musicalité, puise dans les tourments intimes et les rêves inassouvis, comme en témoigne Blotti comme un oiseau, poème extrait du recueil Le Chariot d’or (1900). Ce texte, où l’amour se mêle à la nostalgie de « l’ancienne année », déploie des images sensuelles — le parfum d’une robe fanée, la douceur d’un cou comparé à des calices — pour capturer l’essence éphémère des sentiments. Samain, influencé par Baudelaire et Verlaine, y fusionne la rigueur parnassienne et l’élan symboliste, créant une poésie à la fois intime et universelle, souvent mise en musique pour son lyrisme envoûtant. Mort à quarante-deux ans de la tuberculose, il laisse une œuvre où l’amour, toujours teinté de douceur amère, résonne comme un « chant dans le soir ».

Panier
Retour en haut