Villanelle - Joachim du Bellay
En ce mois délicieux,
Qu’amour toute chose incite,
Un chacun à qui mieux mieux
La douceur’ du temps imite,
Mais une rigueur dépite
Me fait pleurer mon malheur.
Belle et franche Marguerite
Pour vous j’ai cette douleur.
Dedans votre oeil gracieux
Toute douceur est écrite,
Mais la douceur de vos yeux
En amertume est confite,
Souvent la couleuvre habite
Dessous une belle fleur.
Belle et franche Marguerite,
Pour vous j’ai cette douleur.
Or, puis que je deviens vieux,
Et que rien ne me profite,
Désespéré d’avoir mieux,
Je m’en irai rendre ermite,
Pour mieux pleurer mon malheur.
Belle et franche Marguerite,
Pour vous j’ai cette douleur.
Mais si la faveur des Dieux
Au bois vous avait conduite,
Ou, d’espérer d’avoir mieux,
Je m’en irai rendre ermite,
Peut être que ma poursuite
Vous ferait changer couleur.
Belle et franche Marguerite
Pour vous j’ai cette douleur.
Publié au XVIIème siècle
Joachim du Bellay (1522-1560), figure majeure de la Pléiade, a marqué la Renaissance française par sa défense de la langue vernaculaire et son exploration poétique des tourments amoureux. Son Villanelle, publiée au XVIIe siècle mais composée dans l’esprit des cycles pétrarquistes, incarne cette tension entre l’idéalisation de l’aimée et l’amertume de l’échec sentimental. Le poème dédié à Marguerite – peut-être Marguerite de France, sœur d’Henri II – joue sur les contrastes entre le « mois délicieux » printanier et la « rigueur dépite » du cœur, utilisant la forme répétitive de la villanelle pour souligner l’obsession amoureuse. Les images de la « couleuvre sous la fleur » et du renoncement érémitique trahissent une mélancolie typiquement bellayenne, où l’exaltation lyrique se nourrit de désillusion. Ce dialogue entre passion et désespoir, porté par des vers musicaux où perce l’influence de Pétrarque, assure à ces poèmes une résonance intemporelle.