Menuet - François Coppée
Menuet
À Emmanuel des Essarts.
Marquise, vous souvenez-vous
Du menuet que nous dansâmes ?
Il était discret, noble et doux,
Comme l’accord de nos deux âmes.
Aux bocages le chalumeau
À ces notes pures et lentes ;
C’était un air du grand Rameau,
Un vieil air des Indes galantes.
Triomphante, vous surpreniez
Tous les coeurs et tous les hommages,
Dans votre robe à grands paniers,
Dans votre robe à grands ramages.
Vous leviez, de vos doigts gantés,
Et selon la cadence douce,
Votre jupe des deux côtés
Prise entre l’index et le pouce.
Plus d’une belle, à Trianon,
Enviait, parmi vos émules,
Le manège exquis et mignon
De vos deux petits pieds à mules ;
Et, distraite par le bonheur
De leur causer cette souffrance,
À la reprise en la mineur
Vous manquâtes la révérence.
Publié en 1892 dans le recueil Œuvres complètes de François Coppée, Librairie L. Hébert, Poésies, tome II (p. 28-29).
François Coppée (1842-1908), poète parnassien puis chantre du réalisme lyrique, marqua la littérature française par sa capacité à transfigurer le quotidien en vers émouvants. Né à Paris, cet académicien évolua d’une esthétique rigoureuse vers une poésie intimiste, célébrant les humbles et les sentiments universels. Son Menuet, publié en 1892 dans le recueil Œuvres complètes, incarne cette fusion entre grâce classique et émotion intemporelle. Le poème, dédié à Emmanuel des Essarts, ressuscite avec délicatesse un souvenir de danse au XVIIIe siècle, où la marquise – parée de sa robe à ramages – manque une révérence, distraite par le bonheur. À travers le prisme d’un menuet de Rameau, Coppée capture l’éphémère et l’éternel de l’amour, mêlant la mélancolie du temps passé à la vivacité d’un instant gracieux. Cette évocation nostalgique, où chaque pas de danse devient métaphore des coeurs accordés, révèle son art de transformer les gestes simples en récits universels, solidifiant sa place parmi les poètes de l’amour transcendant les siècles.