Les touristes - Ernest Feuillet
Baedeker à la main, kodak en bandoulière,
Casquette à larges bords, costumes à grands carreaux,
Le pas délibéré, l’allure cavalière,
Ils errent par la ville en voyageurs farauds.
Cherchant à se guider dans cette fourmilière,
Ils vont, levant le nez, lisant les numéros,
Au grand amusement de la vive écolière
Qui leur tire la langue à travers les barreaux.
De la Porte de l’Oulle ils courent au Musée ;
Le Château fait pâlir leur face médusée ;
Ils se plantent devant la caserne d’Hautpoul…
Puis, quand ils ont battu le record des visites,
Nos touristes, grisés de tableaux et de sites,
Regagnent leur hôtel en disant « Beautiful ! »
Publié en 1913 dans le recueil Les Cent sonnets
Ernest Feuillet est un poète dont les mots, bien que parfois imprégnés d’une certaine mélancolie, portent un regard acéré et souvent critique sur la société de son époque. Dans son poème Les touristes, il nous invite à observer avec une pointe de distance et de réflexion les visiteurs d’Avignon, cette ville qui, comme d’autres destinations touristiques, voit ses rues envahies par des foules avides de découvertes mais souvent déconnectées de l’âme profonde des lieux. Feuillet capte l’éphémérité de ces passages, ces regards curieux mais distraits, comme une réflexion sur le temps qui passe et les changements qui affectent la ville. À travers ses vers, il nous pousse à questionner ce qui reste lorsque la foule se disperse. Son écriture, élégante mais parfois acerbe, nous invite à une forme de contemplation sur le monde moderne et ses contradictions.