Par un mauvais temps - Alfred de Musset
Elle a mis, depuis que je l’aime
(Bien longtemps, peut-être toujours),
Bien des robes, jamais la même ;
Palmire a dû compter les jours.
Mais, quand vous êtes revenue,
Votre bras léger sur le mien,
Il faisait, dans cette avenue,
Un froid de loup, un temps de chien.
Vous m’aimiez un peu, mon bel ange,
Et, tandis que vous bavardiez,
Dans cette pluie et cette fange
Se mouillaient vos chers petits pieds.
Songeait-elle, ta jambe fine,
Quand tu parlais de nos amours,
Qu’elle allait porter sous l’hermine
Le satin, l’or et le velours ?
Si jamais mon coeur désavoue
Ce qu’il sentit en ce moment,
Puisse à mon front sauter la boue
Où tu marchais si bravement !
Publié en 1850 dans le recueil Poésies nouvelles.
Né en 1810 à Paris, Alfred de Musset s’impose comme une figure majeure du romantisme français, naviguant entre théâtre, prose et poésie avec une sensibilité exacerbée. Jeune prodige, il publie Contes d’Espagne et d’Italie à 19 ans, révélant un talent précoce pour mêler lyrisme et ironie. Sa vie tumultueuse, marquée par sa passion orageuse avec George Sand et une quête incessante d’idéal, imprègne son œuvre d’une tension entre désillusion et exaltation. Par un mauvais temps, extrait des Poésies nouvelles (1850), incarne cette dualité : le poète y évoque une scène amoureuse sous la pluie, où la boue et le froid contrastent avec la tendresse persistante envers sa bien-aimée. À travers des vers simples mais évocateurs — « Votre bras léger sur le mien / Il faisait […] un froid de loup, un temps de chien » —, Musset transforme un moment trivial en allégorie de l’amour résilient. Ce poème, comme Lucie ou La Nuit de mai, révèle sa capacité à saisir l’éphémère pour en faire un chant universel, mêlant grâce légère et mélancolie romantique. Malgré une carrière littéraire écourtée par sa mort en 1857, son exploration des tourments du cœur conserve une résonance intemporelle, faisant de lui un archétype du poète-amant.