Invocation - François Coppée

Enfant blonde aux doux yeux, ô rose de Norvége,

Qu’un jour j’ai rencontrée aux bords du bleu Léman,

Cygne pur émigré de ton climat de neige !

 

Je t’ai vue & je t’aime ainsi qu’en un roman,

Je t’aime & suis heureux comme si quelque fée

Venait de me toucher avec un talisman.

 

Quand tu parus, naïve & d’or vivant coiffée,

J’ai senti qu’un espoir sublime & surhumain

Soudain m’enveloppait de sa chaude bouffée.

 

Voyageur, je devais partir le lendemain ;

Mais tu m’as pris mon coeur sans pouvoir me le rendre,

Alors que pour l’adieu je t’ai touché la main.

 

A ce dernier bonheur j’étais loin de m’attendre,

Et je me croyais mort à toutes les amours ;

Mais j’ai vu ton regard spirituel & tendre ;

 

Et tout m’a bien prouvé, dans les instants trop courts

Passés auprès de toi, blonde soeur d’Ophélie,

Que je pouvais aimer encore, & pour toujours.

 

Et je ne me dis pas que c’est une folie,

Que j’avais dix-sept ans le jour où tu naquis ;

Car le triste passé, je l’efface & l’oublie,

 

Et tu ne peux savoir à quel point c’est exquis !

 

Publié en 1877 dans le recueil L’Exilée

Portrait de françois coppéeFrançois Coppée (1842-1908), poète parisien issu d’un milieu modeste, marqua la littérature française par son évolution stylistique et son attachement aux émotions simples. D’abord employé au ministère de la Guerre, il intégra les cercles littéraires parnassiens avant de se tourner vers une poésie lyrique accessible, célébrant l’amour et les humbles. Son recueil L’Exilée (1877), dont fait partie « Invocation », incarne cette transition : le poème dépeint une rencontre fugace au bord du Léman avec une « rose de Norvège », mêlant l’idéalisation romantique à une sensualité tangible. Coppée y exprime l’éveil soudain d’un amour presque mystique – « comme si quelque fée / Venait de me toucher avec un talisman » –, tout en soulignant la mélancolie de l’adieu et la persistance du désir. Si sa carrière ultérieure fut marquée par des engagements nationalistes lors de l’affaire Dreyfus, ses poèmes d’amour, par leur simplicité émouvante et leurs images évocatrices (la main « tremblante comme un oiseau », le regard « spirituel & tendre »), transcendent les époques, offrant une voix intime à l’universalité des sentiments.

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