Nos désirs sont d'amour - Théodore Agrippa d'Aubigné
Sonnet LXXIII.
Nos désirs sont d’amour la dévorante braise,
Sa boutique nos corps, ses flammes nos douleurs,
Ses tenailles nos yeux, et la trempe nos pleurs,
Nos soupirs ses soufflets, et nos sens sa fournaise.
De courroux, ses marteaux, il tourmente notre aise
Et sur la dureté, il rabat nos malheurs,
Elle lui sert d’enclume et d’étoffe nos coeurs
Qu’au feu trop violent, de nos pleurs il apaise,
Afin que l’apaisant et mouillant peu à peu
Il brûle d’avantage et rengrège* son feu.
Mais l’abondance d’eau peut amortir la flamme.
Je tromperai l’enfant, car pensant m’embraser,
Tant de pleurs sortiront sur le feu qui m’enflamme
Qu’il noiera sa fournaise au lieu de l’arroser.
*Rengrège : Augmente.
Publié au XVIème siècle dans le recueil Hécatombe à Diane.
Théodore Agrippa d’Aubigné (1552-1630), né dans une famille protestante du Poitou, incarne la dualité entre l’ardeur guerrière et la sensibilité poétique. Éduqué en latin, grec et hébreu dès l’enfance, ce compagnon d’armes d’Henri IV combattit farouchement pour la cause huguenote avant de se retirer à Genève, déçu par la conversion du roi. Mais derrière l’image du soldat intransigeant se cachait un poète baroque aux vers enflammés. Son recueil Hécatombe à Diane, composé dans sa jeunesse, révèle une passion tourmentée à travers des sonnets comme le LXXIII, Nos désirs sont d’amour. Ce texte métamorphose l’amour en forge infernale : les désirs y sont une « dévorante braise », les pleurs, l’eau qui attise les flammes plutôt que les éteindre. Si ses écrits polémiques comme Les Tragiques firent sa renommée, ces poèmes d’amour, influencés par Pétrarque mais empreints d’une violence singulière, témoignent d’une tradition lyrique où l’excès des sentiments défie le temps. Ironie du destin, l’auteur de ces vers brûlants deviendra l’aïeul de Madame de Maintenon, future épouse secrète de Louis XIV.