Ruines du coeur - François Coppée
Mon coeur était jadis comme un palais romain,
Tout construit de granits choisis, de marbres rares.
Bientôt les passions, comme un flot de barbares,
L’envahirent, la hache ou la torche à la main.
Ce fut une ruine alors. Nul bruit humain.
Vipères et hiboux. Terrains de fleurs avares.
Partout gisaient, brisés, porphyres et carrares ;
Et les ronces avaient effacé le chemin.
Je suis resté longtemps, seul, devant mon désastre.
Des midis sans soleil, des minuits sans un astre,
Passèrent, et j’ai, là, vécu d’horribles jours ;
Mais tu parus enfin, blanche dans la lumière,
Et, bravement, afin de loger nos amours,
Des débris du palais j’ai bâti ma chaumière.
Publié en 1888 dans le recueil Arrière-saison, Œuvres complètes de François Coppée, L. Hébert, libraire, Poésies, tome III (p. 231-232).
François Coppée, né en 1842 à Paris, incarna l’esprit poétique du XIXᵉ siècle à travers des œuvres marquées par l’intimité et la profondeur humaine. Après des débuts comme employé de bureau puis archiviste à la Comédie-Française, il se consacra pleinement à l’écriture après son élection à l’Académie française en 1884. Son poème Ruines du cœur (publié dans L’arrière-saison en 1888) résume son talent pour métaphoriser les tourments amoureux : il y compare un cœur brisé à un palais romain dévasté par les passions, où ronces et débris symbolisent la souffrance, avant de trouver rédemption dans l’amour qui reconstruit une humble chaumière. Cette pièce, typique de sa transition du Parnasse vers un réalisme sentimental, souligne sa capacité à évoquer avec simplicité les émotions universelles, mêlant mélancolie et espoir. Coppée, surnommé le « poète des humbles », a immortalisé les scènes populaires parisiennes et les thèmes patriotiques, tout en explorant la vulnérabilité humaine avec une sensibilité qui traverse les siècles.