Au coeur de mon amour - Paul Eluard
Un bel oiseau me montre la lumière
Elle est dans ses yeux, bien en vue.
Il chante sur une boule de gui
Au milieu du soleil.
* * * * *
Les yeux des animaux chanteurs
Et leurs chants de colère ou d’ennui
M’ont interdit de sortir de ce lit.
J’y passerai ma vie.
L’aube dans des pays sans grâce
Prend l’apparence de l’oubli.
Et qu’une femme émue s’endorme, à l’aube,
La tête la première, sa chute l’illumine.
Constellations,
Vous connaissez la forme de sa tête.
Ici, tout s’obscurcit:
Le paysage se complète, sang aux joues,
Les masses diminuent et coulent dans mon cœur
Avec le sommeil.
Et qui donc veut me prendre le cœur?
* * * * *
Je n’ai jamais rêvé d’une si belle nuit.
Les femmes du jardin cherchent à m’embrasser—
Soutiens du ciel, les arbres immobiles
Embrassent bien l’ombre qui les soutient.
Une femme au cœur pâle
Met la nuit dans ses habits.
L’amour a découvert la nuit
Sur ses seins impalpables.
Comment prendre plaisir à tout?
Plutôt tout effacer.
L’homme de tous les mouvements,
De tous les sacrifices et de toutes les conquêtes
Dort. Il dort, il dort, il dort.
Il raye de ses soupirs la nuit minuscule, invisible.
Il n’a ni froid, ni chaud.
Son prisonnier s’est évadé—pour dormir.
Il n’est pas mort, il dort.
Quand il s’est endormi
Tout l’étonnait,
Il jouait avec ardeur,
Il regardait,
Il entendait.
Sa dernière parole:«Si c’était à recommencer, je te rencontrerais sans
te chercher.»
Il dort, il dort, il dort.
L’aube a eu beau lever la tête,
Il dort.
Publié en 1926 dans le recueil Capitale de la douleur, Mourir de na pas mourir.
Paul Éluard (1895-1952), figure majeure du surréalisme, a ciselé dans Capitale de la douleur (1926) un manifeste amoureux où Au cœur de mon amour irradie comme une pépite. Ce poème, tissé de nuits étoilées et de corps songeurs, révèle sa quête d’un amour absolu à travers des métaphores organiques – le gui solaire, les « seins impalpables » de la nuit – où le désir se confond avec les éléments. L’homme qui déclarait « Je te l’ai dit pour les nuages / Je te l’ai dit pour l’arbre de la mer » y explore l’érotisme métaphysique, transformant l’alcôve en cosmos. Ses répétitions obsédantes (« il dort, il dort ») créent une incantation troublante, mêlant tendresse et inquiétude existentielle. Éluard, résistant poétique durant l’Occupation, chante ici l’amour comme acte subversif – ce « prisonnier évadé » symbolisant autant la libération politique que l’abandon aux bras de l’aimée. Le vers final, suspendu entre rencontre fortuite et destin, cristallise sa vision d’un amour à la fois charnel et éternel, bruissant des paradoxes surréalistes.