Aubade - François Coppée
L’aube est bien tardive à naître,
Il a gelé cette nuit ;
Et déjà sous ta fenêtre
Mon fol amour m’a conduit.
Je tremble, mais moins encore
Du froid que de ma langueur ;
Le frisson du luth sonore
Se communique à mon cœur
Ému comme un petit page,
J’attends le moment plus sûr
Où j’entendrai le tapage
De tes volets sur le mur ;
Et la minute me dure
Où m’apparaîtra soudain,
Dans son cadre de verdure,
Ton sourire du matin.
Publié en 1892 dans le recueil Le cahier rouge.
Théodore Agrippa d’Aubigné (1552-1630), poète huguenot au tempérament de feu, a marqué la Renaissance par ses vers aussi passionnés que ses convictions. Né d’un accouchement tragique qui coûta la vie à sa mère, cet enfant prodige maîtrisait le latin, le grec et l’hébreu dès sept ans, avant de devenir un guerrier intransigeant aux côtés d’Henri de Navarre. Mais derrière l’image du soldat brutal se cachait un amoureux transi : son recueil Le Printemps, dédié à Diane Salviati, nièce de la Cassandre de Ronsard, mêle érotisme et violence dans des stances où « l’hécatombe amoureuse » devient art. Ses poèmes d’amour, comme Amour qui n’est qu’amour, explorent la passion absolue, « sans espoir et sans bois », comparant l’ardeur sentimentale à un feu céleste purificateur. Même en exil à Genève après sa rupture avec Henri IV, il transforme ses blessures intimes en métaphores fulgurantes, faisant dialoguer le désir humain et la quête spirituelle. Si Les Tragiques reste son œuvre la plus connue, ses vers amoureux révèlent un baroque sensuel où chaque mot brûle encore aujourd’hui de cette « belle clarté » qui rapproche les amants des dieux.