L’Amoureuse - Paul Eluard

Elle est debout sur mes paupières

Et ses cheveux sont dans les miens,

Elle a la forme de mes mains,

Elle a la couleur de mes yeux,

Elle s’engloutit dans mon ombre

Comme une pierre sur le ciel.

 

Elle a toujours les yeux ouverts

Et ne me laisse pas dormir.

Ses rêves en pleine lumière

Font s’évaporer les soleils,

Me font rire, pleurer et rire,

Parler sans avoir rien à dire.

 

Publié en 1926 dans le recueil Capitale de la douleur, Mourir de ne pas mourir.

Photographie de Paul EluardPaul Éluard (1895-1952), de son vrai nom Eugène Grindel, est une figure majeure de la poésie surréaliste française dont l’œuvre amoureuse transcende les époques. Hospitalisé à 17 ans pour tuberculose, il y rencontre Gala, muse et épouse qui inspira ses plus beaux textes avant de le quitter pour Salvador Dalí – déchirure intime qui irrigue Capitale de la douleur (1926). Ce recueil, où figure L’Amoureuse, cristallise sa vision de l’amour comme force à la fois vitale et destructrice. Le poème, écrit en octosyllabes dépouillés, mêle fusion charnelle (« Elle a la forme de mes mains ») et angoisse existentielle (« ne me laisse pas dormir »), traçant par images-sismographes l’effondrement d’un couple. Éluard y réinvente le lyrisme amoureux : la femme aimée n’est plus idéalisée mais incarne une présence-absence obsédante, « engloutie » dans l’ombre du poète comme une météorite émotionnelle. Porté par un « je » universel, ce chant de la rupture – où rires et larmes se confondent – reste un phare dans la nuit des relations humaines, prouvant que la douleur d’amour se mue en langage immortel.

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