Paris - Jules Supervielle
O Paris, ville ouverte
Ainsi qu’une blessure,
Que n’es-tu devenue
De la campagne verte.
Te voilà regardée
Par des yeux ennemis,
De nouvelles oreilles
Écoutent nos vieux bruits.
La Seine est surveillée
Comme du haut d’un puits
Et ses eaux jour et nuit
Coulent emprisonnées.
Tous les siècles français
Si bien pris dans la pierre
Vont-ils pas nous quitter
Dans leur grande colère ?
L’ombre est lourde de têtes
D’un pays étranger.
Voulant rester secrète
Au milieu du danger
S’éteint quelque merveille
Qui préfère mourir
Pour ne pas nous trahir
En demeurant pareille.
1939-1945
Je suis Jules Supervielle, né en 1884, poète de l’intime et du cosmos, souvent en dialogue entre le réel et l’imaginaire. Paris, ville que j’ai aimée pour son éclat et son histoire, devient dans mon poème Paris un lieu blessé, une cité meurtrie par l’occupation pendant la Seconde Guerre mondiale. Écrit entre 1939 et 1945, ce texte reflète ma douleur et ma compassion pour une capitale transformée en ville ouverte, vulnérable aux regards ennemis. À travers mes mots, je cherche à capturer l’angoisse de ce moment, où les siècles gravés dans la pierre semblent prêts à s’effacer sous le poids de la violence et de l’oppression. Mais Paris, même dans cette obscurité, conserve une dignité secrète, une force prête à renaître. Ce poème, c’est mon hommage à son âme indomptable, à sa capacité à résister, même lorsque tout semble perdu.