Amour, tu sembles - Pierre de Ronsard
Amour tu sembles au phalange qui point
Lui de sa queue, et toi de ta quadrelle :
De tous deux est la pointure mortelle,
Qui rampe au coeur, et si n’aparoist point.
Sans souffrir mal tu me conduis au point
De la mort dure, et si ne voy par quelle
Playe je meurs, ny par quelle cruelle
Poison autour de mon âme se joint.
Ceux qui se font saigner le pié dans l’eau,
Meurent sans mal, pour un crime nouveau
Fait à leur roy, par traitreuse cautelle :
Je meurs comme eux, voire et si je n’ay fait
Encontre amour, ni trayson, ni forfait,
Si trop aymer un crime ne s’appelle.
Publié en 1554 dans le recueil Les Meslanges.
Pierre de Ronsard (1524-1585), prince des poètes de la Renaissance française, transforma sa carrière brisée par une surdité précoce en une odyssée littéraire. Ce cadet d’une famille noble du Vendômois, page à la cour de François Ier, trouva dans la poésie un exutoire à ses ambitions contrariées. Avec la Pléiade, mouvement qu’il cofonda, il révolutionna la langue française en rivalisant avec les modèles antiques, notamment dans ses Amours (1552) où l’influence pétrarquienne se mêle à une sensualité toute personnelle. Son poème Amour, tu sembles (1554), extrait des Meslanges, dévoile une vision paradoxale de la passion : comparant Cupidon à un scorpion dont la piqûre mortelle « rampe au cœur sans paraître », il peint l’amour comme une torture invisible où la victime expire sans comprendre son crime – aimer « trop ». Ce recueil, oscillant entre légèreté et mélancolie, illustre son génie à métamorphoser les tourments intimes en archétypes universels, faisant de lui l’alchimiste éternel du sentiment amoureux.