Les Coquillages - Paul Verlaine
Chaque coquillage incrusté
Dans la grotte où nous nous aimâmes
A sa particularité
L’un a la pourpre de nos âmes
Dérobée au sang de nos cœurs
Quand je brûle et que tu t’enflammes ;
Cet autre affecte tes langueurs
Et tes pâleurs alors que, lasse,
Tu m’en veux de mes yeux moqueurs ;
Celui-ci contrefait la grâce
De ton oreille, et celui-là
Ta nuque rose, courte et grasse ;
Mais un, entre autres, me troubla.
Publié en 1869 dans le recueil Fêtes galantes.
Paul Verlaine (1844-1896), figure majeure du symbolisme, incarne le poète maudit autant que l’alchimiste des émotions amoureuses. Né à Metz dans une famille bourgeoise, sa vie oscille entre excès et création : après une jeunesse parisienne marquée par les cercles littéraires, son mariage éphémère avec Mathilde Mauté et sa passion tumultueuse avec Rimbaud forgent une sensibilité à vif. C’est dans Fêtes galantes (1869) que son art atteint son apogée, mêlant légèreté du XVIIIe siècle et modernité troublante. Les Coquillages, bijou de ce recueil, transcende l’anecdote érotique par une métaphore marine vertigineuse. Chaque coquillage devient relique d’un amour passé, « incrusté » dans la mémoire comme dans la grotte des étreintes. La « pourpre de nos âmes » évoque autant la passion que ses brûlures, tandis que la « nuque rose » se fige en souvenir tactile. Verlaine y déploie sa musique verbale unique, où les rimes embrassées épousent le flux des souvenirs. Ce poème, comme tant d’autres, révèle son génie : transformer les tourments intimes en archétypes universels, faisant de lui le chroniqueur immortel des cœurs blessés.