Les lilas - Hélène Picard
J’avais été cueillir des gerbes de lilas,
J’en faisais des bouquets presque devant ta porte,
Tout le beau jour vécu s’épanchait de mes bras,
Une ivresse sortait, lourde, poignante et forte
De ces lilas pesants qui respiraient tout bas.
Je chantais à mi-voix… me berçant de ce leurre
De la chanson jetée à travers le chagrin,
Les arômes fervents montaient vers ta demeure,
Et mon désir de toi que j’exhalais sans fin
Mettait un souffle d’or dans la tiédeur de l’heure.
Tes pas fermes et doux, tout à coup, s’annonçaient
Tu passas… Je me tus… L’âme, à tes pieds, fauchée
J’écoutai, les yeux clos, tes pas qui décroissaient,
Je te suivis de toute mon ardeur cachée…
Oh! ce silence et les lilas qui l’emplissaient !…
Publié en 1907 dans le recueil L’Instant Éternel, 1907
Hélène Picard (1873-1945), poétesse toulousaine marquée par une sensibilité vibrante, a forgé son œuvre dans l’expression d’un lyrisme amoureux à la fois intime et universel. Après des débuts régionaux couronnés par l’Académie des Jeux floraux de Toulouse, sa carrière prend un tournant national en 1904 lorsqu’elle remporte un concours organisé par le magazine Femina avec un hommage à George Sand. Ce succès préfigure son recueil L’Instant éternel (1907), couronné par le prix Archon-Despérouses, où le poème Les lilas incarne sa maîtrise des émotions amoureuses. À travers ce texte, Picard transcende la simple anecdote biographique pour saisir l’essence du désir inassouvi : les lilas, chargés d’une « ivresse lourde et poignante », deviennent les symboles sensoriels d’une attente tourmentée, où chaque parfum et chaque silence amplifient la présence absente de l’aimé. Son art du détail concret – les bouquets déposés « presque devant ta porte », les pas qui « décroissent » dans le lointain – ancre l’expérience intime dans une temporalité suspendue, caractéristique des grands poèmes d’amour intemporels. Si son étoile pâlit après 1914, son influence persista à travers sa proximité avec Colette, et Les lilas reste un joyau de cette période faste où la poésie féminine s’imposa dans le paysage littéraire français.
