À L’AUTOMNE - Albert Lozeau
Par la couleur du ciel et les plaintes du vent,
Par les tons nuancés du feuillage mouvant,
Par mon désir de rêve et mon cœur qui frissonne,
J’ai senti de là-bas venir vers nous l’automne.
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Dans la sérénité profonde des beaux soirs
Où la lune apparaît bleue au firmament noir,
Malgré les astres clairs, on l’aperçoit qui rôde
Sur le gazon, ou dans les coins des chambres chaudes.
Il émane de lui je ne sais quoi de doux
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Qui frôle notre chair et qui pénètre en nous,
Qui nous change, on dirait, en une autre substance,
Comme si l’on était de l’air ou du silence !
Il semble que l’on ait des ailes ; que le poids
De notre corps se fonde et renaisse à la fois ;
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Qu’un bonheur à travers notre âme triste passe,
Qu’on n’ait plus qu’un degré pour atteindre à l’extase !
Ô volupté de vivre, ô charme alanguissant !
– Automne qui nous mets du plaisir dans le sang,
Qui nous berces, pareil à la bonne nourrice,
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Jusqu’à ce que notre âme en tes bras s’assoupisse,
Je t’aime d’un amour sensuel et païen !
Et je t’élève, ô dieu, fait de songe ancien,
Un temple au clair autel entouré de balustres,
Où mon cœur balancé brûle comme un grand lustre !
1912
Je suis Albert Lozeau, né en 1878 à Montréal, poète québécois dont la vie a été marquée par la solitude et la contemplation. Très jeune, une tuberculose osseuse m’a contraint à vivre isolé dans ma chambre, mais cet isolement m’a permis de plonger dans la poésie et de contempler la beauté du monde à travers les mots. J’ai trouvé dans la nature une source inépuisable d’inspiration, et mes vers explorent les saisons, les paysages et les émotions humaines avec une sensibilité toute personnelle. Malgré mes contraintes physiques, j’ai pu publier des recueils qui ont touché de nombreux lecteurs, comme Le Miroir des Jours et À l’Ombre de l’Orme, où mes réflexions sur la vie et la souffrance trouvent une résonance universelle. Mon parcours montre que même dans l’adversité, l’art peut fleurir et apporter un sens profond à l’existence.