Ballade de retour - Jules Laforgue
Le Temps met Septembre en sa hotte,
Adieu, les clairs matins d’été !
Là-bas, l’Hiver tousse et grelotte
En son ulster de neige ouaté.
Quand les casinos ont jeté
Leurs dernières tyroliennes,
La plage est triste en vérité !
Revenez-nous, Parisiennes !
Toujours l’océan qui sanglote
Contre les brisants irrités,
Le vent d’automne qui marmotte
Sa complainte à satiété,
Un ciel gris à perpétuité,
Des averses diluviennes,
Cela doit manquer de gaieté !
Revenez-nous, Parisiennes !
Hop ! le train siffle et vous cahote !
Là-bas, c’est Paris enchanté,
Où tout l’hiver on se dorlote :
C’est l’opéra, les fleurs, le thé,
Ô folles de mondanité
Allons ! Rouvrez les persiennes
De l’hôtel morne et déserté !
Revenez-nous, Parisiennes !
ENVOI
Reines de grâce et de beauté,
Venez, frêles magiciennes,
Reprendre Votre Royauté :
Revenez-nous, Parisiennes !
1885 dans le recueil Les Complaintes
Je suis Jules Laforgue, né en 1860 à Montevideo, poète aux accents mélancoliques et ironiques, que l’on associe souvent au symbolisme. Mon enfance a été marquée par de nombreux voyages entre l’Uruguay et la France, et cette vie de déracinement a nourri mon écriture. Avec des recueils comme Les Complaintes et L’Imitation de Notre-Dame la Lune, j’ai voulu exprimer la solitude, la tristesse, et une vision du monde teintée d’humour noir. Mon style est connu pour son langage audacieux, ses néologismes et ses vers libres, qui reflètent mon esprit critique face aux conventions littéraires. J’ai toujours cherché à capturer l’âme humaine avec ses contradictions, ses faiblesses et ses aspirations. Bien que ma vie ait été courte – je suis parti à 27 ans –, j’espère avoir laissé une trace dans la poésie, une voix unique qui continue de résonner pour ceux qui aiment les âmes en quête.