Chant de guerre parisien - Arthur Rimbaud
Le Printemps est évident, car
Du coeur des Propriétés vertes,
Le vol de Thiers et de Picard
Tient ses splendeurs grandes ouvertes !
Ô Mai ! quels délirants culs-nus !
Sèvres, Meudon, Bagneux, Asnières,
Ecoutez donc les bienvenus
Semer les choses printanières !
Ils ont shako, sabre et tam-tam,
Non la vieille boîte à bougies,
Et des yoles qui n’ont jam, jam…
Fendent le lac aux eaux rougies !
Plus que jamais nous bambochons
Quand arrivent sur nos tanières
Crouler les jaunes cabochons
Dans des aubes particulières !
Thiers et Picard sont des Eros,
Des enleveurs d’héliotropes ;
Au pétrole ils font des Corots :
Voici hannetonner leurs tropes…
Ils sont familiers du Grand Truc !…
Et couché dans les glaïeuls, Favre
Fait son cillement aqueduc,
Et ses reniflements à poivre !
La grand ville a le pavé chaud
Malgré vos douches de pétrole,
Et décidément, il nous faut
Vous secouer dans votre rôle…
Et les Ruraux qui se prélassent
Dans de longs accroupissements,
Entendront des rameaux qui cassent
Parmi les rouges froissements !
écrit en 1870, durant la guerre franco-prussienne, mais il n’a été publié qu’à titre posthume en 1895 dans le recueil Poésies complètes
Je suis Arthur Rimbaud, né en 1854, poète fugueur et visionnaire. Paris, cette ville effervescente et tourmentée, est entrée dans ma poésie comme un champ de bataille, un théâtre de révoltes et de transformations. Dans Chant de guerre parisien, écrit en 1870 pendant la guerre franco-prussienne, je capture l’énergie chaotique et ironique d’une capitale en crise. Ce poème, mêlant sarcasme et éclats révolutionnaires, dénonce les élites, les faux héros et le tumulte absurde des combats. Pour moi, Paris n’est pas seulement une ville : c’est une muse qui inspire autant qu’elle exaspère, une métaphore de la société en pleine convulsion. À travers ces vers, je voulais peindre une fresque du chaos, mais aussi de la vitalité désespérée de cette époque. Paris est un cri, une brûlure, une scène où se joue le drame de l’Histoire — et je ne pouvais m’empêcher d’y inscrire ma voix.