Croquis parisien - Paul Verlaine
EAUX-FORTES
À François Coppée.
I
CROQUIS PARISIEN
La lune plaquait ses teintes de zinc
Par angles obtus.
Des bouts de fumée en forme de cinq
Sortaient drus et noirs des hauts toits pointus.
Le ciel était gris, la bise pleurait
Ainsi qu’un basson.
Au loin, un matou frileux et discret
Miaulait d’étrange et grêle façon.
Moi, j’allais, rêvant du divin Platon
Et de Phidias,
Et de Salamine et de Marathon,
Sous l’œil clignotant des bleus becs de gaz.
1866 dans le recueil Poèmes saturniens
Je suis Paul Verlaine, né en 1844, poète des sensations et des contrastes. Paris, avec ses ruelles, ses toits et ses lumières, m’a toujours fasciné, comme une scène infinie où la banalité côtoie la beauté. Dans mon poème Croquis parisien, publié en 1866 dans Poèmes saturniens, j’évoque une nuit grise, froide, où la ville se pare d’un mystère presque irréel sous la lumière des becs de gaz. Ce texte, dédié à François Coppée, est une peinture impressionniste de Paris, où la lune et la fumée dessinent des angles étranges et où un simple miaulement devient presque cosmique. En mêlant les références antiques à cette scène urbaine, j’ai voulu montrer que même dans l’ordinaire, Paris conserve une grandeur unique. Ce poème, c’est ma manière de capturer l’âme nocturne de la ville, où chaque détail devient une part de poésie.