Fuite d’automne - Cécile Sauvage
Sors de ta chrysalide, ô mon âme, voici
L’Automne. Un long baiser du soleil a roussi
Les étangs ; les lointains sont vermeils de feuillage,
Le flexible arc-en-ciel a retenu l’orage
Sur sa voûte où se fond la clarté d’un vitrail ;
La brume des terrains rôde autour du bétail
Et parfois le soleil que le brouillard efface
Est rond comme la lune aux marges de l’espace.
Mon âme, sors de l’ombre épaisse de ta chair
C’est le temps dans les prés où le silence est clair,
Où le vent, suspendant son aile de froidure,
Berce dans les rameaux un rêve d’aventure
Et fait choir en jouant avec ses doigts bourrus
La feuille jaune autour des peupliers pointus.
La libellule vole avec un cri d’automne
Dans ses réseaux cassants ; la brebis monotone
A l’enrouement fêlé des branches dans la voix ;
La lumière en faisceaux bruine sur les bois.
Mon âme en robe d’or faite de feuilles mortes
Se donne au tourbillon que la rafale apporte
Et chavire au soleil sur la pointe du pied
Plus vive qu’en avril le sauvage églantier ;
Cependant que de loin elle voit sur la porte,
Écoutant jusqu’au seuil rouler des feuilles mortes,
Mon pauvre corps courbé dans son châle d’hiver.
Et mon âme se sent étrangère à ma chair.
Pourtant, docilement, lorsque les vitres closes
Refléteront au soir la fleur des lampes roses,
Elle regagnera le masque familier,
Et, servante modeste avec un tablier,
Elle trottinera dans les chambres amères
En retenant des mains le sanglot des chimères.
1911 – Tandis que la terre tourne
Je suis Cécile Sauvage, née en 1883 dans le sud de la France, poétesse au cœur sensible et mère du compositeur Olivier Messiaen. Ma poésie est profondément marquée par la nature, la maternité, et cette tendresse infinie que j’éprouve pour la vie. Avec des recueils comme Tandis que la terre tourne, j’ai voulu exprimer la beauté des instants fugaces et des émotions intenses qui nous traversent. Mon poème « Fuite d’automne » reflète cette fascination pour le passage des saisons, pour l’automne qui emporte doucement les couleurs et les souvenirs. Écrire, pour moi, c’est un moyen de communier avec le monde, de partager mes rêveries et de laisser une trace de ces moments où l’âme se fond dans la nature. Je crois que la poésie est une façon de dévoiler la délicatesse de l’existence, d’atteindre une forme de paix intérieure.