Chant d’automne - Charles Baudelaire
I
Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres ;
Adieu, vive clarté de nos étés trop courts !
J’entends déjà tomber avec des chocs funèbres
Le bois retentissant sur le pavé des cours.
Tout l’hiver va rentrer dans mon être : colère,
Haine, frissons, horreur, labeur dur et forcé,
Et, comme le soleil dans son enfer polaire,
Mon coeur ne sera plus qu’un bloc rouge et glacé.
J’écoute en frémissant chaque bûche qui tombe ;
L’échafaud qu’on bâtit n’a pas d’écho plus sourd.
Mon esprit est pareil à la tour qui succombe
Sous les coups du bélier infatigable et lourd.
Il me semble, bercé par ce choc monotone,
Qu’on cloue en grande hâte un cercueil quelque part.
Pour qui ? – C’était hier l’été ; voici l’automne !
Ce bruit mystérieux sonne comme un départ.
II
J’aime de vos longs yeux la lumière verdâtre,
Douce beauté, mais tout aujourd’hui m’est amer,
Et rien, ni votre amour, ni le boudoir, ni l’âtre,
Ne me vaut le soleil rayonnant sur la mer.
Et pourtant aimez-moi, tendre coeur ! soyez mère,
Même pour un ingrat, même pour un méchant ;
Amante ou soeur, soyez la douceur éphémère
D’un glorieux automne ou d’un soleil couchant.
Courte tâche ! La tombe attend ; elle est avide !
Ah ! laissez-moi, mon front posé sur vos genoux,
Goûter, en regrettant l’été blanc et torride,
De l’arrière-saison le rayon jaune et doux !
Charles Baudelaire, 1857 – Les fleurs du mal
Je suis Charles Baudelaire, né en 1821 à Paris, poète et critique d’art, souvent considéré comme l’un des précurseurs de la modernité en littérature. Ma vie fut marquée par des passions intenses, une quête de beauté et un regard sombre sur l’existence. Avec mon recueil Les Fleurs du mal, j’ai voulu montrer les contrastes de l’âme humaine, la beauté dans la laideur, le sublime dans l’étrange. Mon écriture est souvent empreinte de mélancolie et de rébellion contre les conventions de mon époque, ce qui m’a valu des critiques, voire des procès pour certains de mes poèmes. Pourtant, ces mêmes poèmes ont influencé toute une génération de poètes. À travers des œuvres comme « L’Albatros » et « Spleen », j’ai exploré la condition humaine, tiraillée entre les élans vers l’idéal et la chute vers l’ennui et le désespoir.