Hymne à l'automne - Pierre de Ronsard

Je n’avais pas quinze ans que les monts et les bois

Et les eaux me plaisaient plus que la cour des Rois,

Et les noires forêts en feuillage voutées,

Et du bec des oiseaux les roches picotées ;

Une vallée, un antre en horreur obscurci,

Un désert effroyable était tout mon souci ;

A fin de voir au soir les Nymphes et les Fées

Danser dessous la lune en cotte par les prées

Fantastique d’esprit, et de voir les Sylvains

Etre boucs par les pieds et hommes par les mains,

Et porter sur le front des cornes en la sorte

Qu’un petit agnelet de quatre mois les porte.

J’allais après la dance, et craintif je pressais

Mes pas dedans le trac des Nymphes, et pensais

Que pour mettre mon pied en leur trace poudreuse

J’aurais incontinent l’âme plus généreuse ;

Ainsi que l’Ascrean qui gravement sonna

Quand l’une des neuf Sœurs du laurier lui donna.

Or je ne fus trompé de ma jeune entreprise ;

Car la gentille Euterpe ayant ma dextre prise,

Pour m’ ôter le mortel par neuf fois me lava

De l’eau d’une fontaine où peu de monde va,

Me charma par neuf fois, puis d’une bouche enflée

(Ayant dessus mon chef son haleine soufflée)

Me hérissa le poil de crainte et de fureur,

Et me remplit le cœur d’ingénieuse erreur,

En me disant ainsi : « Puisque tu veux nous suivre,

Heureux après la mort nous te ferons revivre

Par longue renommée, et ton los ennobli

Accablé du tombeau n’ira point en oubli.»

« Tu seras du vulgaire appelé frénétique,

Insensé, furieux, farouche, fantastique,

Maussade, malplaisant, car le peuple médit

De celui qui de mœurs aux siennes contredit.

Mais courage, Ronsard ! les plus doctes poètes,

Les Sibylles, Devins, Augures et Prophètes,

Hués, sifflés, moqués des peuples ont été,

Et toutefois, Ronsard, ils disaient vérité.

N’espère d’amasser de grands biens en ce monde :

Une forêt, un pré, une montagne, une onde

Sera ton héritage, et seras plus heureux

Que ceux qui vont cachant tant de trésors chez eux.

Tu n’auras point de peur qu’un Roi, de sa tempête,

Te vienne en moins d’un jour escarbouiller la tête

Ou confisquer tes biens, mais, tout paisible et coi,

Tu vivras dans les bois pour la Muse et pour toi. »

Ainsi disait la nymphe, et de là je vins être

Disciple de Dorat, qui longtemps fut mon maître ;

M’apprit la poésie, et me montra comment

On doit feindre et cacher les fables proprement,

Et à bien déguiser la vérité des choses

D’un fabuleuxmanteau dont elles sont encloses.

J’appris en son école à immortaliser

Les hommes que je veux célébrer et priser,

Leur donnant de mes biens, ainsi que je te donne

Pour présent immortel l’Hymne de cet automne.

 

1555 dans le recueil Les Hymnes.

Je suis Pierre de Ronsard, né en 1524 dans une famille noble du Vendômois. Destiné à une carrière diplomatique, une maladie m’a cependant conduit vers un chemin plus tranquille, celui de la poésie. J’ai fondé avec mes amis, notamment Joachim du Bellay, le groupe de la Pléiade, pour révolutionner la langue et la littérature françaises. Inspiré par les poètes antiques, j’ai voulu enrichir notre langue et introduire des formes et des thèmes nouveaux. À travers mes poèmes, comme les Odes et les Amours, j’ai chanté l’amour, la nature, et le passage du temps. Mon Hymne de l’Automne, par exemple, célèbre la beauté mélancolique de la saison et reflète mon admiration pour la nature. Jusqu’à la fin, j’ai cherché à faire vivre les mots, espérant que mes vers laisseraient une empreinte durable dans le cœur des lecteurs.

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