La promenade d'automne - Marceline Desbordes-Valmore

Te souvient-il, ô mon âme, ô ma vie,

D’un jour d’automne et pâle et languissant ?

Il semblait dire un adieu gémissant

Aux bois qu’il attristait de sa mélancolie.

Les oiseaux dans les airs ne chantaient plus l’espoir ;

Une froide rosée enveloppait leurs ailes,

Et, rappelant au nid leurs compagnes fidèles,

Sur des rameaux sans fleurs ils attendaient le soir.

 

Les troupeaux, à regret menés aux pâturages,

N’y trouvaient plus que des herbes sauvages ;

Et le pâtre, oubliant sa rustique chanson,

Partageait le silence et le deuil du vallon.

Rien ne charmait l’ennui de la nature.

La feuille qui perdait sa riante couleur,

Les coteaux dépouillés de leur verte parure,

Tout demandait au ciel un rayon de chaleur.

 

Seule, je m’éloignais d’une fête bruyante ;

Je fuyais tes regards, je cherchais ma raison :

Mais la langueur des champs, leur tristesse attrayante,

À ma langueur secrète ajoutaient leur poison.

Sans but et sans espoir suivant ma rêverie,

Je portais au hasard un pas timide et lent ;

L’Amour m’enveloppa de ton ombre chérie,

Et, malgré la saison, l’air me parut brûlant.

 

Je voulais, mais en vain, par un effort suprême,

En me sauvant de toi, me sauver de moi-même ;

Mon œil, voilé de pleurs, à la terre attaché,

Par un charme invincible en fut comme arraché.

À travers les brouillards, une image légère

Fit palpiter mon sein de tendresse et d’effroi ;

Le soleil reparaît, l’environne, l’éclaire,

Il entr’ouvre les cieux…. Tu parus devant moi.

Je n’osai te parler ; interdite, rêveuse,

Enchaînée et soumise à ce trouble enchanteur,

Je n’osai te parler : pourtant j’étais heureuse ;

Je devinai ton âme, et j’entendis mon cœur.

 

Mais quand ta main pressa ma main tremblante,

Quand un frisson léger fit tressaillir mon corps,

Quand mon front se couvrit d’une rougeur brûlante,

Dieu ! qu’est-ce donc que je sentis alors ?

J’oubliai de te fuir, j’oubliai de te craindre ;

Pour la première fois ta bouche osa se plaindre,

Ma douleur à la tienne osa se révéler,

Et mon âme vers toi fut près de s’exhaler.

Il m’en souvient ! T’en souvient-il, ma vie,

De ce tourment délicieux,

De ces mots arrachés à ta mélancolie :

« Ah ! si je souffre, on souffre aux cieux ! »

 

Des bois nul autre aveu ne troubla le silence.

Ce jour fut de nos jours le plus beau, le plus doux ;

Prêt à s’éteindre, enfin il s’arrêta sur nous,

Et sa fuite à mon cœur présagea ton absence :

L’âme du monde éclaira notre amour ;

Je vis ses derniers feux mourir sous un nuage ;

Et dans nos cœurs brisés, désunis sans retour,

Il n’en reste plus que l’image !


1822 dans son recueil Poésies

Je suis Marceline Desbordes-Valmore, née en 1786 à Douai, poétesse et l’une des premières voix féminines de la littérature romantique française. Dès mon enfance, j’ai été confrontée à la dureté de la vie, marquée par la perte de proches et la précarité, des expériences qui ont nourri ma sensibilité. Comédienne et chanteuse avant de devenir poétesse, j’ai parcouru la France et l’Europe, mais c’est dans l’écriture que j’ai trouvé un refuge pour exprimer mes émotions les plus profondes. Dans mes recueils, comme Poésies en 1822, où l’on trouve « La Promenade d’automne », je parle d’amour, de maternité, de souffrance, et de mélancolie, avec une sincérité que certains jugent presque naïve. Mon style, tout en simplicité, se veut proche du cœur, cherchant à toucher les âmes sans artifice. J’espère que mes poèmes reflètent l’authenticité de mes sentiments et qu’ils résonnent auprès de ceux qui connaissent les épreuves de la vie.

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