Nuit d’automne - François-René de Chateaubriand
Mais des nuits d’automne
Goûtons les douceurs ;
Qu’aux aimables fleurs
Succède Pomone.
Le pâle couchant
Brille encore à peine ;
De Vénus, qu’il mène.
L’astre va penchant ;
La lune, emportée
Vers d’autres climats,
Ne montrera pas
Sa face argentée.
De ces peupliers,
Au bord des sentiers,
Les zéphyrs descendent,
Dans les airs s’étendent,
Effleurent les eaux,
Et de ces ormeaux
Raniment la sève :
Comme une vapeur,
La douce fraîcheur
De ces bois s’élève.
Sous ces arbres verts,
Qu’un vent frais balance,
J’entends en silence
Leurs légers concerts :
Mollement bercée,
La voûte pressée
En dôme orgueilleux
Serre son ombrage,
Et puis s’entr’ouvrant.
Du ciel lentement
Découvre l’image.
Là, des nuits l’azur
Dans un cristal pur
Déroule ses voiles.
Et le flot brillant
Coule en sommeillant
Sur un lit d’étoiles
-Oh ! charme nouveau !
Le son du pipeau
Dans l’air se déploie,
Et du fond des bois
M’apporte à la fois
L’amour et la joie.
Près des ruisseaux clairs.
Au chaume d’Adèle
Le pasteur fidèle
Module ses airs.
Tantôt il soupire,
Tantôt il désire ;
Se tait : tour à tour
Sa simple cadence
Me peint son amour
Et son innocence.
Dans son lit heureux
La pauvre attentive
Écoute, pensive,
Ces sons dangereux :
Le drap qui la couvre
Loin d’elle a roulé,
Et son œil troublé
Mollement s’entr’ouvre.
Tout entière au bruit
Qui pendant la nuit
La charme et l’accuse,
Adèle au vainqueur
Son aveu refuse
Et donne son cœur.
1826 dans le recueil Tableaux de la nature
Je suis François-René de Chateaubriand, né en 1768 à Saint-Malo, écrivain, poète et homme politique. Toute ma vie, j’ai été tiraillé entre la passion des voyages, l’amour de la nature et l’engagement politique. Mon œuvre s’enracine dans cette tension, avec des récits comme Atala et René, où j’explore les tourments de l’âme, l’isolement et la mélancolie, souvent inspirés par mes propres expériences. Avec Le Génie du christianisme, j’ai cherché à réconcilier l’art et la foi, en magnifiant la beauté de la religion. Mes voyages en Amérique m’ont marqué profondément et ont nourri mon imagination et mes descriptions exotiques. En politique, j’ai servi tantôt comme ministre, tantôt comme opposant, et l’exil n’a pas épargné ma carrière. Jusqu’à la fin, j’ai voulu être un témoin de mon époque, un observateur des âmes et des paysages, en espérant que mes écrits touchent au-delà de mon temps.