Fantaisies d’hiver - Théophile Gautier

I

 

Le nez rouge, la face blême,

Sur un pupitre de glaçons,

L’Hiver exécute son thème

Dans le quatuor des saisons.

 

Il chante d’une voix peu sûre

Des airs vieillots et chevrotants ;

Son pied glacé bat la mesure

Et la semelle en même temps ;

 

Et comme Haendel, dont la perruque

Perdait sa farine en tremblant,

Il fait envoler de sa nuque

La neige qui la poudre à blanc.

 

II

 

Dans le bassin des Tuileries,

Le cygne s’est pris en nageant,

Et les arbres, comme aux féeries,

Sont en filigrane d’argent.

 

Les vases ont des fleurs de givre,

Sous la charmille aux blancs réseaux ;

Et sur la neige on voit se suivre

Les pas étoilés des oiseaux.

 

Au piédestal où, court-vêtue,

Vénus coudoyait Phocion,

L’Hiver a posé pour statue

La Frileuse de Clodion.

 

III

 

Les femmes passent sous les arbres

En martre, hermine et menu-vair,

Et les déesses, frileux marbres,

Ont pris aussi l’habit d’hiver.

 

La Vénus Anadyomène

Est en pelisse à capuchon ;

Flore, que la brise malmène,

Plonge ses mains dans son manchon.

 

Et pour la saison, les bergères

De Coysevox et de Coustou,

Trouvant leurs écharpes légères,

Ont des boas autour du cou.

 

IV

 

Sur la mode Parisienne

Le Nord pose ses manteaux lourds,

Comme sur une Athénienne

Un Scythe étendrait sa peau d’ours.

 

Partout se mélange aux parures

Dont Palmyre habille l’Hiver,

Le faste russe des fourrures

Que parfume le vétyver.

 

Et le Plaisir rit dans l’alcôve

Quand, au milieu des Amours nus,

Des poils roux d’une bête fauve

Sort le torse blanc de Vénus.

 

V

 

Sous le voile qui vous protège,

Défiant les regards jaloux,

Si vous sortez par cette neige,

Redoutez vos pieds andalous ;

 

La neige saisit comme un moule

L’empreinte de ce pied mignon

Qui, sur le tapis blanc qu’il foule,

Signe, à chaque pas, votre nom.

 

Ainsi guidé, l’époux morose

Peut parvenir au nid caché

Où, de froid la joue encor rose,

A l’Amour s’enlace Psyché.

 

1852

Je suis Théophile Gautier, né en 1811 à Tarbes. Mon amour pour les mots et la beauté m’a mené vers le mouvement romantique, mais rapidement, mon esprit insatiable m’a poussé à explorer un style plus personnel, qui prône « l’art pour l’art. » À travers la poésie, comme dans Émaux et Camées, j’ai cherché à capturer l’essence de l’esthétique pure, détachée des préoccupations morales ou politiques. Voyageur dans l’âme, mes écrits traversent aussi l’Espagne, l’Italie et l’Orient, où je trouve des inspirations pour mes récits et mon style poétique unique.

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