Les églises Bretonnes - Sophie Hüe
De cantons en cantons,
A travers bois et landes,
Où s’en vont-ils par bandes,
Ces nomades Bretons,
Chantant à tour de rôle
Quelques pieux refrains,
Ouvriers pèlerins,
Leurs outils sur l’épaule ?
Ils vont sous le ciel bleu
Travailler sans salaire ;
Ils se sont mis sur terre
A la solde de Dieu.
En tous lieux où s’élèvent
Des temples au Seigneur,
Ils vont, et c’est l’honneur
Le plus grand dont ils rêvent.
Dans les sentiers étroits,
Fleuris d’ajoncs sauvages,
Ils marquent leur passage
En y dressant des croix.
Des églises gothiques
Leurs bras vaillants et sûrs
Ou bâtissent les murs,
Ou sculptent les portiques.
Des clochers, hautes tours,
Ils élèvent les pierres,
Comme autant de prières
Qui dureront toujours.
Et ce sont des chefs-d’œuvre,
Accomplissant leurs vœux,
Légués à leurs neveux
Par ces pieux manœuvres.
L’art à la Eoi s’unit,
Et le ciseau fidèle
Sait fouiller en dentelle
Le chêne et le granit,
Pour mieux loger les saintes
Et les grands saints surtout,
Le long des murs debout
En belles robes peintes,
Pour décorer l’autel
Où descend de sa gloire,
Victime expiatoire,
L’Homme-Dieu, roi du ciel.
Pleins de pieuse flamme,
Purs des orgueils humains,
Dans l’oeuvre de leurs mains
Ils font passer leur âme.
Nul d’eux ne songe à soi ;
Grands artistes quand même,
Ils n’ont pour but suprême
Que d’affirmer leur foi.
Sur leur œuvre inspirée
Pas un nom qui soit lu !
Ainsi qu’ils l’ont voulu,
Leur mémoire ignorée
Demeure sans renom,
D’âge en âge bénie ;
Nous savons leur génie,
Mais Dieu seul sait leur nom.
Date de publication inconnue
Sophie Hüe, poétesse du XIXe siècle, a été profondément marquée par les traditions et l’histoire de la Bretagne. Dans son poème Les églises Bretonnes, elle rend hommage aux bâtisseurs anonymes des églises bretonnes, ces artisans pieux qui, à travers leur travail acharné, ont laissé un héritage spirituel et artistique. Hüe décrit des scènes d’un travail sacré, où les ouvriers, guidés par leur foi, élèvent des monuments en granit et en bois, sans chercher la gloire mais cherchant à glorifier Dieu. Sa poésie, empreinte de mélancolie et de respect, célèbre l’union entre l’art et la foi, tout en soulignant l’humilité des bâtisseurs, dont l’œuvre perdure bien au-delà de leur anonymat. Par ses vers, elle capture la beauté des paysages bretons et l’âme des hommes qui ont forgé le patrimoine de la région.