Bien loin d’ici - Charles Baudelaire

C’est ici la case sacrée

Où cette fille très parée,

Tranquille et toujours préparée,

 

D’une main éventant ses seins,

Et son coude dans les coussins,

Ecoute pleurer les bassins ;

 

C’est la chambre de Dorothée.

– La brise et l’eau chantent au loin

Leur chanson de sanglots heurtée

Pour bercer cette enfant gâtée.

 

Du haut en bas, avec grand soin,

Sa peau délicate est frottée

D’huile odorante et de benjoin.

– Des fleurs se pâment dans un coin.

 

Publié en 1857 dans le recueil Les fleurs du mal

Portrait de Charles BaudelaireCharles Baudelaire (1821-1867), poète emblématique du XIXᵉ siècle, a marqué la littérature par son exploration audacieuse de la beauté dans l’ombre et de l’amour à travers Les Fleurs du mal. Fils d’un milieu bourgeois qu’il rejeta dès l’adolescence, il cultiva une sensibilité artistique nourrie par ses excès, ses voyages avortés – comme celui vers l’Inde, source d’exotisme dans son œuvre – et ses passions tumultueuses, notamment pour Jeanne Duval, muse récurrente de ses vers. Bien loin d’ici, extrait de son recueil phare publié en 1857, incarne cette alchimie entre érotisme et mélancolie. Le poème dépeint Dorothée, figure sensuelle et mystérieuse, bercée par « la brise et l’eau » dans un décor où « des fleurs se pâment » – métaphore de la tension entre idéalisation amoureuse et réalité charnelle. Condamné pour immoralité à sa sortie, ce texte révèle pourtant une quête intemporelle : transcender le spleen par l’art, transformant la boue du quotidien en or poétique. Baudelaire y fusionne images exotiques et langage musical, créant un hymne à l’amour à la fois fugace et éternel, où chaque détail – de l’« huile odorante » aux « sanglots heurtés » – devient un écho des désirs universels.

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