Dans la grotte - Paul Verlaine
Là ! Je me tue à vos genoux !
Car ma détresse est infinie,
Et la tigresse épouvantable d’Hyrcanie
Est une agnelle au prix de vous.
Oui, céans, cruelle Clymène,
Ce glaive qui, dans maints combats,
Mit tant de Scipions et de Cyrus à bas,
Va finir ma vie et ma peine !
Ai-je même besoin de lui
Pour descendre aux Champs-Élysées ?
Amour perça-t-il pas de flèches aiguisées
Mon cœur, dès que votre œil m’eût lui ?
Publié en 1869 dans le recueil Fêtes galantes
Paul Verlaine (1844-1896), figure majeure du symbolisme, incarne la dualité entre passion et tourment. Ce poète au style musical, célèbre pour ses vers fluides et ses rythmes impairs, transforme ses expériences amoureuses chaotiques – notamment sa relation orageuse avec Rimbaud – en une poésie universelle. Son poème Dans la grotte (1869), extrait des Fêtes galantes, mêle théâtralité baroque et confession intime. À travers des références antiques (Scipion, Cyrus) et une mythologie personnelle (Clymène, les Champs-Élysées), Verlaine dépeint l’amour comme un combat tragique où le désir se heurte à la cruauté. Le dialogue dramatique, entre supplication (« Je me tue à vos genoux ») et défi (« Ce glaive […] va finir ma vie »), révèle sa capacité à transcender le badinage galant du XVIIIe siècle en une exploration intemporelle de la souffrance amoureuse. Malgré les masques de la commedia dell’arte, perce ici l’authenticité d’un homme dont la vie tumultueuse alimenta une œuvre où l’ivresse des sens le dispute toujours à la quête spirituelle.