Espérance - Pierre Corneille

D’un accueil si flatteur, et qui veut que j’espère,

Vous payez ma visite alors que je vous vois,

Que souvent à l’erreur j’abandonne ma foi,

Et croîs seul avoir droit d’aspirer à vous plaire.

 

Mais si j’y trouve alors de quoi me satisfaire,

Ces charmes attirants, ces doux je ne sais quoi,

Sont des biens pour tout autre aussi bien que pour moi,

Et c’est dont un beau feu ne se contente guère.

 

D’une ardeur réciproque il veut d’autres témoins,

Un mutuel échange et de vœux et de soins,

Un transport de tendresse à nul autre semblable.

 

C’est là ce qui remplit un cœur fort amoureux :

Le mien le sent pour vous ; le vôtre en est capable.

Hélas ! si vous vouliez, que je serais heureux !

 

Publié en 1684 dans le recueil Poésies diverses

Portrait de Pierre CorneillePierre Corneille (1606-1684), célèbre dramaturge du Cid et de Polyeucte, s’est aussi illustré dans la poésie amoureuse avec une sensibilité héritée de ses propres tourments. Ce Normand d’origine, formé au barreau avant de renoncer à la carrière juridique par timidité, transpose dans ses vers les contradictions du cœur humain, comme en témoigne son sonnet Espérance tiré des Poésies diverses (1684). Le texte, oscillant entre élan passionné et lucidité désenchantée, révèle un art de la dialectique amoureuse : le poète y décrypte les illusions de l’espoir (« D’un accueil si flatteur, et qui veut que j’espère ») tout en confessant son désir d’une réciprocité absolue (« Un transport de tendresse à nul autre semblable »). Si Corneille révolutionna le théâtre par ses conflits intérieurs, ce poème montre comment il applique au lyrisme sa maîtrise des tensions dramatiques. L’œuvre, traversée par l’écho d’un chagrin amoureux de jeunesse qui détermina sa vocation littéraire, dépasse l’anecdote biographique pour peindre l’universelle ambivalence de l’amour – entre séduction et désillusion.

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