Oriande - Guillaume Apollinaire
La fée Oriande vivait dans son château de Rose-Fleur
C’est ici quand ce fut le déclin du printemps l’édification des Roses
Oriande y dort comme un parfum venu dans la dernière lettre et qui repose
Sur mon cœur
Entre les deux pétales de cette vernale rose
Mais c’est l’été maintenant
Oriande y vivrait dans son château de Rose-Fleur
Tourné comme nous et l’église vers l’orient
Et c’est le soir des roses
Les vieilles paroles sont mortes au dernier printemps
Des harmonies puissantes et nouvelles jaillissent de mon cœur
Mais Oriande écrit un L
Au ciel
Résigne-toi mon cœur où le sort t’a fixé
Et l’été passera Le printemps a passé
Mais Oriande écrit un O
En haut
Et j’accorde mon luth comme l’on bande un arc
Mais Oriande écrit un U
Sur le ciel nu
Le ciel d’un bleu profond d’un bleu nocturne
D’un bleu qui s’épaissit en souhaits en amour
En puissante joie
Et de mon cœur de poète
De mon cœur qui est la Rose
Oriande ruisselle
Onde parfumée des chansons
Où tu aimes tremper ton âme
Tandis que la fée s’endort
Oriande s’endort dans son château de Rose-Fleur
Courmelois, le 23 juin 1915
Publié en 1955 dans le recueil Poèmes à Lou
Guillaume Apollinaire (1880-1918), figure majeure de la poésie moderne, a ciselé dans Oriande une déclaration d’amour aux reflets médiévaux et cosmiques. Écrit le 23 juin 1915 à Courmelois, ce poème dédié à Louise de Coligny-Châtillon (Lou) fusionne l’urgence de la passion et l’angoisse de la Grande Guerre. Le château de Rose-Fleur, écrin de la fée Oriande, devient un symbole double : sanctuaire intemporel où l’amour se mue en parfum persistant, mais aussi miroir des saisons qui fuient (« l’été passera / Le printemps a passé »).
Apollinaire y déploie un lyrisme crypté, où les lettres L, O, U tracées au ciel tissent autant de clins d’œil à sa muse que de hiéroglyphes stellaires. Cette calligraphie amoureuse, mêlant luth médiéval et bleu nocturne, révèle sa quête d’un langage neuf : « des harmonies puissantes et nouvelles jaillissent de mon cœur ». Publié post-mortem en 1955, Oriande incarne ce dialogue entre tradition courtoise et avant-garde qui fit de lui le passeur entre deux siècles poétiques.