Vous m’avez dit, tel soir… - Emile Verhaeren
Vous m’avez dit, tel soir, des paroles si belles
Que sans doute les fleurs, qui se penchaient vers nous,
Soudain nous ont aimés et que l’une d’entre elles,
Pour nous toucher tous deux, tomba sur nos genoux.
Vous me parliez des temps prochains où nos années,
Comme des fruits trop mûrs, se laisseraient cueillir ;
Comment éclaterait le glas des destinées,
Comment on s’aimerait, en se sentant vieillir.
Votre voix m’enlaçait comme une chère étreinte,
Et votre cœur brûlait si tranquillement beau
Qu’en ce moment, j’aurais pu voir s’ouvrir sans crainte
Les tortueux chemins qui vont vers le tombeau.
Publié en 1905 dans le recueil Les heures d’après-midi.
Émile Verhaeren (1855-1916), ce Flamand au français limpide, a marqué la poésie belge autant par ses visions des villes tentaculaires que par ses vers amoureux d’une tendresse universelle. Si ses débuts furent teintés de mélancolie et de symbolisme sombre, sa rencontre avec Marthe Massin en 1891 transforma son œuvre en un hymne à l’amour conjugal. Vous m’avez dit, tel soir…, extrait des Heures d’après-midi (1905), cristallise cette alchimie entre passion et sérénité : les fleurs penchées vers les amants, l’évocation du vieillissement comme « fruits trop mûrs », et la mort apprivoisée par l’étreinte des mots y tissent une intimité qui dépasse les époques. Ce poème, où chaque strophe respire la confiance absolue en l’autre, appartient à une trilogie dédiée à Marthe – claire preuve que Verhaeren, souvent associé au lyrisme social, savait aussi ciseler l’éternel dialogue des cœurs. Près d’un siècle plus tard, des lecteurs y trouvent encore l’écho de leurs propres histoires d’amour, preuve que les « paroles si belles » résistent au temps comme les roses de juin du poème.